l’hôpital franco-espagnol de Puigcerdà – EURACTIV.fr
La santé n’a pas de frontières en Europe, son caractère est universel, les patients de l’Hôpital transfrontalier de Cerdagne, à Puigcerdà (Gérone, nord-est de l’Espagne) peuvent le confirmer. L’établissement prend en charge des citoyens espagnols et français et se révèle encore plus utile en période de pandémie. Un article d’Euroefe.
L’Hôpital de Cerdagne, premier centre de santé transfrontalier en Europe, permet aux habitants de cette région des Pyrénées de recevoir des soins sans avoir à effectuer un trajet de plus d’une heure de voiture pour les Espagnols, ou de près de deux heures pour les Français.
Le programme de financement européen POCTEFA a mis plus de 18 millions d’euros à disposition pour que cet hôpital puisse être construit en 2014. L’établissement répond aux besoins d’un bassin de population de 32 000 personnes en hiver et de 150 000 en été, car la région connaît d’importants flux touristiques.
Gestion et service partagés
Les deux pays se partagent la gestion et le financement du centre, selon une proportion de 60 % à charge de l’Espagne et de 40 % à celle de la France. Les coûts de maintenance, environ 20 millions d’euros par an, sont également assumés selon la même clé de répartition.
Des calculs qui ne s’appliquent cependant pas lorsqu’il s’agit de sélectionner le personnel. L’hôpital est dirigé par le Français Vincent Rouvet et son adjoint est l’Espagnol Xavier Conill.
Vincent Rouvet souligne que son hôpital a « la particularité de servir la population des deux côtés de la frontière sans différence de nationalité ».
À Puigcerdà, les ressources sanitaires espagnoles et françaises sont coordonnées afin d’obtenir les meilleurs résultats et le parking d’ambulances accueille les véhicules des services médicaux d’urgence des deux pays.
Le SEM espagnol et le SAMU français coexistent dans un espace qui constitue la seule base de ce dernier situé en dehors du territoire de la République française. Cette antenne du SAMU dépend du centre de régulation de Perpignan et sert à couvrir les besoins sanitaires régionaux.
Briser les frontières pour endiguer le COVID-19
L’arrivée du COVID-19 a également mis en avant les avantages attribués à un hôpital transfrontalier et, après avoir intégré la technologie adéquate et assuré une quantité suffisante de réactifs, celui-ci propose des tests PCR rapides et un test pour la détection d’antigènes, afin de lutter contre la pandémie.
En raison des distances et des liaisons routières compliquées dans cette région des Pyrénées, la rapidité d’obtention des résultats constituait un prérequis pour les responsables du centre.
L’intensité de la première vague et l’arrivée de nombreuses personnes dans les résidences secondaires pendant le confinement ont poussé l’établissement à tirer la sonnette d’alarme. Il a prévenu que sa capacité était conçue pour les habitants habituels, tant du côté espagnol que français, à l’exception des pics touristiques.
Le docteur Rouvet précise que l’Hôpital de Cerdagne effectue « le dépistage du COVID-19 pour la population de cette région et, en fonction des besoins d’assistance, il peut orienter les patients qui ont besoin d’une prise en charge en réanimation vers des centres plus importants, comme Manresa en Espagne ou Perpignan en France ».
Bien que l’incidence de la pandémie ait été « moins importante » ici que dans la plus grande partie du sud de la France ou de la Catalogne, selon Vincent Rouvet, la première vague de l’épidémie a eu un impact majeur.
Xavier Conill se joint à la conversation pour donner des conseils aux habitants qui disposent de résidences secondaires dans la région et dont le comportement déterminera en grande partie le niveau de sécurité sanitaire.
Le docteur Conill leur rappelle que le centre de soins de Cerdagne est « un petit hôpital avec une taille et des ressources limitées » et leur demande de faire preuve de « prudence, que personne ne fasse de folies ».
Les Français nés en Espagne
Que se passe-t-il lorsqu’une mère française accouche à Puigcerdà ? Quelle est la nationalité du bébé ?
Il reçoit automatiquement la nationalité de ses parents, mais il doit être enregistré auprès du consulat français, qui envoie la documentation à Nantes, où se trouve le registre des citoyens français nés à l’étranger.
Pas de problème pour rentrer chez soi après quelques jours, étant donné que qu’il s’agit de l’espace Schengen, aucun passeport ni aucune accréditation officielle n’est nécessaire pour passer la frontière.
Ce qui est plus compliqué, c’est de pouvoir bénéficier de la couverture du système de santé français dès le premier instant. Pour que cela soit possible, un accord a été conclu avec les responsables de Perpignan pour qu’ils puissent accepter l’acte de naissance de l’Hôpital de Cerdagne.
Les dérogations administratives sont également appliquées dans d’autres cas. Notamment pour les décès, régis par la réglementation européenne, mais aussi par des accords bilatéraux entre pays, comme celui qui a été conclu lors du sommet franco-espagnol de 2017 pour résoudre cette question.
« Nous devons travailler sur le fait que ce qui est important, c’est le citoyen européen et nous essayons d’aider à construire l’Europe du citoyen », ajoute Xavier Conill.
COVID transfrontalier
Même un événement aussi soudain que la pandémie de COVID-19 est devenu un exemple d’action transfrontalière, comme le rapporte une patiente de 78 ans, Maria Teresa Basuldu, qui estime qu’à l’hôpital de Puigcerdà, ils lui ont sauvé la vie. En guise de remerciement, elle porte un masque arborant l’image d’un travailleur de la santé.
Maria Teresa Basuldu est tombée malade en même temps que son fils aîné en mars dernier, au plus fort de la pandémie. Elle a été admise au sein de l’hôpital transfrontalier et s’est réveillée dans un autre à Foix, situé en territoire français, entourée de travailleurs de la santé parlant une autre langue.
Ces derniers lui ont expliqué que les médecins de Puigcerdà n’avaient pas le respirateur dont elle avait besoin, que la saturation des hôpitaux espagnols était maximale et que l’occasion s’était présentée d’aller en France pour pouvoir disposer de cet appareil.
« J’ai été orientée vers Foix grâce aux contacts que les médecins de l’hôpital ont de ce côté de la frontière », dit-elle avec reconnaissance.
Elle y a été traitée « admirablement » et a passé onze jours dans une unité de soins intensifs. Si elle n’avait pas bénéficié de ces soins, « je ne pourrais pas vous en parler ». Une fois hors de danger, elle est retournée à Puigcerdà, où elle est restée quelques jours avant de retourner chez elle, dans la même ville.
« Je me suis sentie accompagnée », souligne Maria Teresa Basuldu, qui a fabriqué des tee-shirts à l’intention de ceux qui l’ont soignée, sur lesquels apparaît un ange habillé en travailleur de la santé.
La Française qui a accouché la veille de Noël
De l’autre côté de la frontière, d’autres exemples illustrent l’action transfrontalière de l’hôpital de Puigcerdà. En première ligne, ces Françaises qui, pour accoucher, devaient auparavant faire un trajet de plus d’une heure et demie pour se rendre Perpignan et qui, maintenant, n’ont plus que vingt minutes de route à faire pour mettre leur enfant au monde en territoire espagnol.
Maude Lletche, responsable de la communication de la station de ski de Font-Romeu, est l’une de ces femmes. Le 24 décembre 2019, elle a célébré le réveillon de Noël en donnant naissance à Julia.
« Pour nous, c’est une grande chance d’avoir cet hôpital qui nous permet de disposer de tous les services médicaux à une vingtaine de minutes en voiture », relève-t-elle.
Maude Lletche assure que tous les habitants du côté français sont « très heureux » de cette installation et que, dans son cas, elle a effectué « tout le suivi de la grossesse directement à Puigcerdà ».
« Là-bas, ils m’ont beaucoup choyée, je peux dire que j’ai passé un bon moment, très calme, avec une équipe très professionnelle de gynécologues et de sages-femmes », dit-elle.
Elle ajoute que « les rendez-vous qui se déroulaient en trois langues » la faisaient rire, car elle parlait parfois avec le médecin en espagnol, avec son mari en français et avec la sage-femme en catalan. Une situation qui s’est répétée au moment de l’accouchement, « et c’est un bon souvenir ».
« C’est une chance pour les femmes d’avoir ce service, qui vous évite de devoir voyager loin pour accoucher, mais c’est aussi une chance que tout le suivi soit fait à partir de l’hôpital transfrontalier », souligne-t-elle.
Une fracture du fémur avec complications
Le vétéran du sport Lluís Breitfuss et le jeune adepte du ski Pol Sanmartí, tous deux installés à Alp, ville à laquelle appartient la station catalane de La Molina, sont également des patients de l’Hôpital de Cerdagne.
En 2015, on a diagnostiqué à Lluís Breitfuss un cancer du poumon. L’établissement transfrontalier a changé sa vie, car de nombreux traitements peuvent être effectués à Puigcerdà, à seulement quelques kilomètres de chez lui.
Lluís Breitfuss a passé la première année après son diagnostic à se rendre quotidiennement à Barcelone pour y subir une chimiothérapie et une radiothérapie.
Aujourd’hui, sa situation lui permet de rester à Puigcerdà, où « le traitement humain est excellent » et où la présence de professionnels de la santé provenant des deux côtés de la frontière lui donne « confiance, car il y a deux façons d’agir et il n’y en a pas de meilleure ou de pire ».
« L’autre jour, j’ai eu un diagnostic d’un médecin catalan et un médecin français a fait un scanner et les résultats coïncident », souligne-t-il.
Fin 2019, Pol Sanmartí, un adolescent étroitement lié au monde du ski, s’est pour sa part fracturé le fémur à La Molina. Gros inconvénient : il souffre d’une très forte intolérance à la plupart des médicaments.
Après avoir reçu les premiers soins à la station de ski, il a été admis aux urgences de Puigcerdà, où il a reçu des transfusions car il avait perdu beaucoup de sang.
Son allergie l’a fait hésiter à opter pour un transfert dans un établissement hospitalier à Barcelone, mais il a finalement choisi le centre transfrontalier, près de chez lui à Alp. Maintenant, alors qu’il est sur le point de se faire retirer les broches qui lui ont été implantées il y a un an, il explique avec sa mère que le traitement y a été « exquis ».
Avancée dans la coordination des systèmes de santé
Le défi actuel de l’hôpital est de progresser dans la coordination des deux systèmes de santé et d’améliorer la relation avec l’ensemble du réseau de soins, tels que les cabinets de consultations externes, les maisons de repos ou les centres de convalescence, bien que ce réseau ne soit pas strictement transfrontalier.
Cela se concrétise par l’’octroi de congés de maladie et de prescriptions destinées aux pharmacies situées des deux côtés de la frontière, en grande partie grâce au travail d’une équipe de traducteurs qui travaillent également sur les rapports d’urgence.
Les plaintes dues à des difficultés linguistiques sont pratiquement inexistantes. C’est notamment grâce au fait que les soins infirmiers sont dispensés par des binômes espagnol-français et qu’un plan de formation linguistique est proposé à tous les employés.
Plus de deux cents travailleurs composent le personnel hospitalier. L’établissement partage entre les deux pays l’externalisation de certains services, tels que la cuisine (confiée à des prestataires français), la blanchisserie et le nettoyage.
Une référence en matière de médecine du sport et de la montagne
En raison de sa situation dans les Pyrénées, à proximité de stations de ski espagnoles et françaises, ainsi que de centres de haute performance, l’Hôpital de Cerdagne est devenu une référence en matière de médecine sportive et de montagne.
Les collaborations avec le Centre national d’entraînement en altitude de Font-Romeu, sur le territoire français, ou avec le Conseil du sport catalan, s’inscrivent dans le cadre de cette vocation.
Des alliances ont également été conclues avec l’Université de Gérone, le Laboratoire européen performance santé altitude de l’Université de Perpignan ou avec l’Association catalane des stations de ski et des activités de montagne.
Les forces et organes de sécurité des deux pays entretiennent également une relation avec l’hôpital, habitué à traiter les blessures liées au ski en hiver et à des activités telles que les courses de montagne ou le cyclisme.
Son héliport, une nécessité due à la topographie compliquée de la région, offre une vue à 360 degrés des sommets situés de part et d’autre de la frontière et des villages encastrés dans les vallées.
L’Europe des citoyens qui a inspiré la création de cet hôpital continue ainsi à progresser dans l’objectif d’estomper les frontières et de donner un sens concret au concept d’Union européenne.