Pourquoi la Cerdagne, château d’eau de l’Arc méditerranéen, manque d’eau de stockage
Les responsables des ASA gérant les canaux d’irrigation, les agriculteurs et les élus de Cerdagne tentent de se faire entendre sur le partage de l’eau qu’ils jugent inéquitable depuis plus de 100 ans.
La Cerdagne est un château d’eau pour l’Arc méditerranéen qui va de l’Ebre jusqu’à l’Aude. « La montagne catalane est un vrai réservoir d’eau à la fois pour une partie de la Catalogne avec le Sègre et l’Ebre côté Espagne. Pour le Roussillon avec la Têt. Et pour la vallée de l’Aude . Il ne faut pas oublier non plus le turbinage de l’eau du Lanoux qui part en Ariège » explique Georges Armengol, président de la communauté de communes Pyrénées Cerdagne. « Cette eau, on la voit beaucoup passer ! », regrette-t-il. Et il n’est pas le premier. Voilà plus d’un siècle en effet que la gestion des eaux de stockage pose question en Cerdagne. Décryptage.
Quelle est la capacité de débitance du plateau cerdan ?
Le débit de l’eau qui part vers l’Espagne a été calculé précisément : 230 millions de m3. 110 millions de m3 partent par le Carol, 60 millions par le Rahur, 45 millions par le Sègre et 19 millions par la Vanéra. À cela, s’ajoutent deux gros réservoirs : le Lanoux, 74 (Mm3) et les Bouillouses (17Mm3). La Cerdagne a un potentiel hydraulique important dont elle bénéficie peu. À cela une cause historique.
La Cerdagne oubliée lors de la convention de 1902
On rembobine le film de l’Histoire du partage de l’eau. En 1902, le barrage des Bouillouses, créé pour alimenter en électricité la ligne du Train jaune, est remis au concessionnaire, la Compagnie des chemins de fer du Midi, aujourd’hui nommée SHEM (Société Hydro-Electrique du Midi).
« En 1911, une grosse boucle de canaux d’arrosage, nommée le Grand Canal de Cerdagne et alimenté par l’aménagement des lacs réservoirs du Carlit -dont les Bouillouses- a fait l’objet d’une étude. Mais les gigantesques efforts de guerre entre 1914 et 1918, puis de reconstruction des zones dévastées en France ont eu raison de ce projet » explique Jacques Barnole, président de l’ASA de Ur. « Les deux guerres mondiales et la récession économique de 1920-1930 ont fini d’enterrer le projet« .
Dès 1902, en compensation de l’utilisation de l’eau turbinée par la SHEM, les irriguant de la Vallée de la Têt reçoivent gratuitement un volume de 6 millions de m3 d’eau entre le 15 juillet et le 30 septembre. La Cerdagne, elle, est totalement oubliée ! Les années suivantes et les nouveaux aménagements n’arrangeront rien.
A lire aussi :
Pyrénées-Orientales – Problème de stockage de l’eau en Cerdagne : « Des solutions ont été identifiées »
Le cimetière des occasions manquées
En 1953, EDF, l’Etat et le Département des Pyrénées-Orientales négocient la convention du Lanoux en faveur, d’une part, du programme de production d’énergie électrique indispensable à la réindustrialisation de la France de l’Après-guerre et, d’autre part, des irrigants de la Vallée de la Têt.
« Le Département autorise EDF à détourner l’eau du Lanoux vers les usines hydroélectriques de l’Ariège. En contrepartie, EDF s’engage à passer la réserve constituée aux Bouillouses de 6 millions de m3 d’eau à 17 millions. L’idée est alors d’améliorer la capacité d’irrigation dans la vallée de la Têt. En compensation, pour la Cerdagne, EDF devait construire une retenue collinaire au Pla des Avellans ou verser au Département 200 millions de francs valeur 1952″, raconte Jacques Barnole.
Les 11 millions de m3 supplémentaires des Bouillouses sont effectivement mis gratuitement à la disposition des Pyrénées-Orientales pour l’irrigation….de la plaine du Roussillon ! La retenue collinaire du pla des avellans ne voit jamais le jour. Et EDF verse les 200 millions de francs. Encore sans effet pour la Cerdagne. « Ils ont été utilisés par le Département pour la construction du barrage de Vinça en 1976, avec la promesse toutefois de faire des travaux d’aménagements hydrauliques en Cerdagne, que l’on attend toujours ! » ajoute Georges Armengol. La Cerdagne est doublement lésée dans cette opération.
De l’eau potable, quand même
Toutefois, la SHEM alimente le haut de la vallée (Haute-Cerdagne) en eau brute, jusqu’à 1 160 000 m³ pour les besoins en eau potable des communes. Elle met aussi à disposition 540 000 m³ pour les canons à neige de la station de ski de Font-Romeu Pyrénées 2000.
Elle peut procéder à des lâchers d’eau, pour l’irrigation de la vallée de la Têt, du 1er juillet au 15 octobre. Ils sont effectués pour le compte du conseil départemental des Pyrénées-Orientales qui peut demander jusqu’à 17 millions de m³, soit la totalité de la contenance du barrage. Pour les responsables des ASA, les agriculteurs et les élus de Cerdagne, le temps de l’équité est venu.